DYNAMIQUES ET PROCESSUS DE CO-CRÉATION
Le programme Co-Create d’Innoviris, qui a financé la recherche CosyFood, « contraint » à mener une recherche en Co-création. Dans le cadre de CosyFood, nous avons tous « découvert » cette façon peu commune mais en expansion, de faire de la recherche. Nous nous sommes inspirés des principes de la recherche-action participative, qui permet de faire appel à l’intelligence d’un maximum de parties prenantes. L’idée est de concevoir collectivement des changements tant théoriques (recherche) que pratiques (action), via une procédure particulière de co-production de connaissances (participative). Ce type de recherche vise ainsi l’émancipation et la capacitation des acteurs engagés.
Cette posture de recherche n’est pas sans conséquence sur la dynamique de groupe et les rôles et responsabilités réparties entre des profils de compétences et d’expériences très diversifiés.
Le projet s’est organisé autour de 4 grandes séquences d’activités, ayant permis de mener à terme les objectifs fixés.
- Co-construction du référentiel et des outils génériques
- Co-construction des outils spécifiques
- Mise en œuvre des outils communs et spécifiques
- Valorisation et dissémination
MÉTHODOLOGIE ET DYNAMIQUE DE TRAVAIL
Le consortium CosyFood est un projet de recherche en co-création avec 4 partenaires : 3 partenaires dits « de terrain » (les initiatives alimentaires bruxelloises) et un partenaire scientifique. La coordination du projet était assurée par l’IGEAT, le partenaire scientifique. La co-création s’est déroulée durant toute la durée du projet, de la conception des outils à leur mise en œuvre, ainsi que pour l’interprétation et l’analyse des résultats. Nous avons pratiqué cette co-création de manière restreinte, au sein du consortium de recherche, avec les personnes impliquées au quotidien dans le projet. Mais aussi de manière plus large, avec les publics et partenaires de chacun des trois partenaires de terrain.
Afin de mener des évaluations participatives et d’ancrer le processus d’évaluation et de recherche dans la réalité des trois acteurs de terrain, nous avons construit les différents outils en partant d’une méthodologie-cadre, l’approche Principes, Critères & Indicateurs (PCI). Elle permet de relier des indicateurs de durabilité aux principes généraux de cette durabilité. La démarche se fonde donc sur la construction d’une arborescence hiérarchique et imbriquée entre des principes d’action, des critères exprimant les conditions de respect de ces principes et des indicateurs mesurant l’état des critères auxquels ils sont reliés.
Deux outils ont été développés par l’ensemble des partenaires. Chaque partenaire de terrain s’est également focalisé sur un outil lié à des enjeux propres. La co-construction de l’ensemble de ces outils a constitué en des processus longs, lents et itératifs. Les outils en construction se sont nourris mutuellement les uns des autres, via les activités des différentes personnes impliquées dans le projet.
« Il y a de la richesse dans l’approche en co-création ; c’est bien de prendre le temps mais parfois on en fait un peu trop. Le trop participatif et collectif entraîne de la lourdeur »
« Parfois, j’ai l’impression que personne ne change vraiment de posture : les scientifiques restent trop scientifiques sans prendre en considération la nature différente du résultat qui peut aboutir ; les acteurs de terrain restent trop acteurs de terrains et se déresponsabilisent du côté recherche et des exigences qui vont avec. Je ne sais pas si c’est une question d’ignorance ou d’intérêt ou d’envie… ».
« On est allé puiser dans les ressources de chacun et on les a mises en commun, consulté, on s’est mis d’accord, … C’est de la maturation en commun ; si on faisait de l’aviron, je dirais qu’on rame bien ensemble. Ceci dit, tous se mettre d’accord, c’est plus lourd. On pourrait être moins dans la co-création pour aller plus vite, mais en fait le cheminement est précieux, donc nous sommes résolument dans la co-création, ne nous faisons pas dans l’économie de nos énergies respectives et faisons avancer le processus ensemble. C’est moins efficace, mais j’ai conscience que cela permet d’avancer ensemble. C’est difficile pour moi (par rapport à ma personnalité), mais positif au global. »
« Le processus de co-création a tout de même été positivement évolutif. Aujourd’hui, on se connait mieux, et je pense que plus on se connait, mieux on co-crée. Aujourd’hui, chacun sort un peu de sa posture, de sa zone de confort. Au final, je dirais qu’on a fait certaines choses en co-création et d’autres moins. Par exemple, au moment de définir le processus des consultations, je trouve que l’IGEAT a eu trop influence sur le contenu de ce processus. »
A différents moments-clé, nous avons été accompagnés par Collectiv-a, qui a facilité en intelligence collective un certain nombre d’échanges, souvent liés à des questions de fond particulièrement délicates et pour lesquelles la présence d’une personne externe était nécessaire. Plusieurs co-chercheurs se sont formés également à ces pratiques. Ceci a permis d’utiliser ces outils autant pour nos réunions en interne que pour les ateliers que nous avons proposés pour les moments de participation large ou de valorisation.
« Les outils d’intelligence collective ont été d’une grande aide pour faciliter la co-création et les prises de décisions stratégiques »
« J’aime assez bien les exercices imposés. Ils me surprennent, me bousculent. Ce n’est pas la manière que j’aurais eu d’aborder la chose, mais nous savons tous qu’il n’y a pas une manière mais que la richesse est dans le processus »
EFFETS DE LA PARTICPATION
Quels effets de la participation à une recherche en co-création ?
Plusieurs effets de la participation ont été identifiés.
Une meilleure appropriation des résultats au sein de chacune des filière
« Notre participation en tant qu’organisation la définition des principes et critères, et également des indicateurs et des seuils, a permis une meilleure compréhension et appropriation des résultats des évaluations. En interne à nos filières, le crédit accordé aux résultats de l’évaluation est d’autant plus important que les parties prenantes ont également été impliquées à chaque étape du processus. Ces acteurs ne se voient pas appliquer une grille d’évaluation externe qui serait éloignée de leurs réalités. On détient alors une marge de manœuvre plus importante pour agir sur base des résultats, avec nos parties prenantes ».
Les effets de l’évaluaton sur le Réseau des Gasap
Les effets de l’évaluaton sur Färm
Les effets de l’évaluaton sur la Vivrière
Gagner en crédibilité au sein du secteur
« Notre crédibilité au sein du secteur peut aussi être renforcée par l’expertise générée par la participation au processus de recherche et d’évaluation. Ce statut d’expert s’ajoutant à celui d’acteur de terrain peut s’avérer intéressant dans le cadre des relations avec les pouvoirs publics ou des organisations partenaires ».
« Cette crédibilité renforcée passe notamment par la capacité à construire des argumentaires non plus fondés sur des intuitions ou des intentions mais sur base de mesures chiffrées, issues d’un travail de terrain et de recherche approfondi et méthodologiquement fondé. La notion d’interdépendance entre les critères et indicateurs de durabilité, appuyée par le référentiel, est ici une base solide pour défendre le projet de société porté par les alternatives ; l’opérationnalisation de ce référentiel par la mesure des indicateurs apporte les données tant nécessaires aujourd’hui pour pouvoir influencer le débat public ».
« On peut aussi affirmer que la participation au processus d’évaluation est pour nous un vecteur d’empowerment individuel, en participant au processus (compréhension de la durabilité, apprentissages concrets sur le fonctionnement des filières et des pratiques et performances de durabilité), mais surtout organisationnel, au niveau du renforcement des capacités d’action de nos organisations : le fait d’avoir été consulté pour l’évaluation de la stratégie Good Food en est une illustration »
Enfin, l’auto-évaluation, par la transparence de la présentation des résultats, tant positifs que négatifs permet aussi aux acteurs du projet de se poser (vis-à-vis de l’extérieur comme en interne) en acteurs du changement et dans des Systèmes Alimentaires Alternatifs (SAA) évolutifs.
Des apprentissages croisés
« J’ai baigné dans les processus participatifs depuis une vingtaine d’années, mais j’ai sans doute pris plus conscience à travers la participation au projet de la valeur et de la richesse que la co-création permet. L’apprentissage, l’utilisation, l’intégration et la formation aux pratiques d’intelligence collectives, l’influence de la facilitation externe et les méthodes RAP sont à intégrer davantage pour encore améliorer les modes de travail ensemble. Un autre domaine d’apprentissage a été à travers la réflexion sur la durabilité, de l’approfondissement et de la compréhension des caractéristiques des différents SA, de leurs avantages et/ou limitations. Et à travers cela se dégagent des opportunités ou envies d’action, d’expérimentation d’autres manières de faire. Enfin, une évolution personnelle d’une vision plus environnementaliste au départ vers plus d’intégration de l’importance des liens, des autres éléments sociaux mais aussi économiques et territoriaux de la durabilité ».
« Ce travail nous a permis d’échanger des points de vue, d’envisager des questions qu’on ne se posait pas, mettre en lumière d’autres points d’attention et cela nous a enrichi et permis de proposer quelque chose de plus abouti »
« L’idée n’est pas que chaque personne/collectif/système repasse par le même processus que le nôtre, mais le fait d’y être confronté et de se positionner par rapport à cela : ce sera ça le parcours/processus d’évaluation. Que ce soit avec nos producteurs, nos consommateurs, nos collègues et à l’avenir des personnes externes à celles impliquées au moment de la création du référentiel, le fait de devoir se positionner enclenche la réflexion et la discussion ».
« Le projet m’a permis de clarifier la perception que j’ai de la durabilité des systèmes alimentaires. A travers le travail d’identification et de structuration des principes et critères de la durabilité et des échanges liés à ces questions, nous avons confronté nos visions avec ce qui est majoritairement fait lorsque que l’on évalue la durabilité : séparer en trois piliers. Or les dimensions qui composent la durabilité sont liées, imbriquées les unes dans les autres. Seule une approche qui prend en considération l’ensemble des dimensions de la durabilité et les liens entre elles permet de comprendre et d’expliquer les impacts environnementaux et sociaux : c’est ce que je retiens comme apprentissage à la fin de cette année. »
Des pratiques à reproduire
« Le fait d’avoir une réflexion sur les pratiques, chaque fois, ça génère des petits pas en avant, par rapport à la durabilité (j’ai l’impression, chez tout le monde). Par exemple, un producteur qui se dit ‘ allez, maintenant que vous avez posé la question, je vais y réfléchir’. Les interrogations que nous avons séparément, chaque fois, ça oblige à se positionner par rapport à cela. Soit pour une meilleure application, soit pour un changement de pratique ».
« On était déjà dans un projet qui se voulait participatif et inclusif, mais le fait de participer à ce projet de co-création a pu renforcer cet aspect chez nous. Le fait d’organiser plusieurs moments de consultations, de rencontres autant avec des client·e·s que des fournisseurs a permis de créer des moments de dialogue et a ainsi eu une influence sur la manière dont nous sommes perçus. Ces différents moments de consultations, cumulés aux quelques initiatives que nous avions déjà ont inscrits ces moments au rang « d’habitudes ». Aussi, par rapport à la co-création avec d’autres initiatives alimentaires, cela renforce notre attitude et volonté de construire ensemble et se rassembler »